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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/34

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Tenez, monsieur Dumas, me dit-il, voici ce que l’on m’a demandé pour vous… Lisez.

Je lus, et, à mon grand étonnement, ce que je lus, c’était la lettre que je viens de transcrire.

Je savais que M. Sosthène de la Rochefoucauld, qui avait beaucoup d’amitié pour moi, devait, poussé par Beauchesne, présenter mon nom au travail de M. de la Bouillerie ; mais j’étais loin de me douter que M. le duc d’Orléans consentit jamais à me recommander.

Je rougis beaucoup ; je balbutiai quelques mots de remercîment, et je demandai au duc à qui je devais cette bonne fortune, d’être recommandé par lui.

— À un ami, me répondit-il, sans que je pusse en tirer autre chose.

Malheureusement, la recommandation de M. le duc d’Orléans n’eut aucun effet. On m’assura, dans le temps, que c’était M. Empis, chef de bureau à la maison du roi, qui avait paralysé cette bonne intention du prince et de M. de la Rochefoucauld.

— M. Empis suivait, en littérature, une ligne opposée a la mienne ; il a fait une pièce extrêmement remarquable : la Mère et la Fille ; le rôle principal en fut créé par Frédérick Lemaître, à son entrée à l’Odéon, avec un succès extraordinaire.

J’ai dit : « Malheureusement la recommandation de M. le duc d’Orléans n’eut aucun effet. » Expliquons le mot malheureusement.

Oui, malheureusement, car, à cette époque où la croix de la Légion d’honneur n’avait pas encore été prodiguée, la croix de la Légion d’honneur eût été pour moi une véritable récompense. J’étais jeune ; j’étais plein de foi, d’ardeur, d’enthousiasme ; j’entrais dans la carrière, enfin ; ma nomination m’eût causé, alors, une véritable joie.

Mais c’est un des malheurs de ceux qui donnent, de ne jamais savoir donner à temps ; cette croix que le duc d’Orléans demandait pour moi en 1830, le roi Louis-Philippe ne me la donna qu’aux fêtes de Versailles, en 1836 ; et encore ce ne fut pas lui qui me la donna, ce fut le prince royal, qui, à l’occasion