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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/42

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

quable, que cette attraction est d’autant plus grande qu’on avance vers la mort, comme si la nature avilit mis une certaine joie pour l’homme à aller chercher sa tombe près de son berceau.

Or, le général la Fayette avait, dans ce voyage, été reçu avec joie, avec amour, avec respect, mais sans fanatisme. Des banquets lui avaient été donnés à Issoire, à Clermont, à Brioude ; mais ces banquets n’avaient eu jusque-là aucun caractère politique : c’étaient des concitoyens qui fêtaient un concitoyen, et pas autre chose.

Tout à coup, on apprit le changement de ministère, et l’avénement de M. de Polignac au pouvoir.

À partir de ce moment, à la minute même où arrive la nouvelle de ce changement de ministère, le voyage de la Fayette change d’aspect ; c’est à la fois quelque chose de puissant comme une protestation et de religieux comme une espérance. Le général était au Puy, — chose remarquable ; — dans la même ville ou avaient régné les aïeux de M. de Polignac, lorsque, deux heures ayant le repas qu’on lui prépare, on apprend la formation du ministère du 8 août ; aussitôt on se réunit, on s’agite, on se presse autour de l’illustre voyageur ; des cris de « Vive Lafayette ! » se font entendre, et, au repas qui est donné deux heures après, on porte ce toast, passablement révolutionnaire :

— À la chambre des députés, le seul et dernier espoir de la France !

Le général avait résolu d’aller à Vizille voir sa petite-fille, femme de M. Augustin Périer ; elle y habitait le château bâti autrefois par Le connétable de Lesdiguières, vieux manoir féodal devenu la maison du fabricant et l’atelier de l’industriel.

Pour se rendre à Vizille, la ville historique où les états de 1788 manifestèrent les premiers, avec ceux de Bretagne, l’opposition aux volontés royales, il fallait passer par Grenoble.

D’ailleurs, ne l’eût-il point fallu, le général était bien homme à se détourner de deux ou trois lieues pour cueillir cette fleur de la popularité qui se fane si vite, et qui, à quarante ans de