Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
2
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

M. Briffaut avait fait, en 1809 ou 1810, je ne sais sous quel titre, une pièce dont la scène se passait en Espagne.

La censure arrêta cette pièce.

Un ami de M. Briffaut en appela à Napoléon de la décision de ses censeurs. Napoléon lut la pièce ; il y avait des vers à la louange des Espagnols.

— La censure a bien fait, dit-il. Il ne me va point qu’on fasse l’éloge d’un peuple avec lequel je suis en guerre !

— Mais, sire, que voulez-vous que devienne l’auteur ? demanda humblement et piteusement l’ami. Il n’a composé et ne composera probablement jamais que cette pièce-là dans toute sa vie ; il comptait sur elle pour arriver à bien des choses… Sire, vous brisez sa carrière !

— Eh bien, qu’au lieu de faire passer son action en Espagne, il la fasse passer en Assyrie, par exemple, et je n’ai plus d’objection ; qu’au lieu de s’appeler Pélage, son héros s’appelle Ninus Ier ou Ninus II, et j’autorise.

Ce n’était pas une pareille condition qui pouvait arrêter M. Briffaut ; d’abord, il appela sa pièce Ninus II ; puis, partout où il y avait Espagnols, il mit Assyriens ; partout où il y avait Burgos, il mit Babylone ; cela le gêna un peu pour les rimes, mais pour les rimes seulement ; — et la pièce fut autorisée, et la pièce fut jouée, et, à cause du tour de force, sans doute, M. Briffaut fut nommé académicien.

C’était, au reste, un excellent homme que M. Briffaut, pas trop fier de n’avoir rien fait, avantage qui rend tant de confrères insolents.

Nous discutâmes longtemps, non pas les défauts littéraires, mais les défauts politiques de la malheureuse Christine. Elle en était hérissée, à ce qu’il parait ; la pauvre censure, qui a les doigts si délicats, ne savait vraiment par où la prendre.

Il y avait surtout ce vers, que Christine dit à propos de sa couronne :

C’est un hochet royal trouvé dans mon berceau !


qui semblait à ces messieurs une énormité. Par ce vers, j’atta-