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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/54

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


On s’était précipité derrière les illustres hôtes, que l’on vit reparaître, à travers une double haie de gardes, dans l’ordre suivant :

Le roi Charles X marchait le premier, donnant le bras à madame la duchesse d’Orléans.

M. le dauphin venait ensuite, donnait le bras à madame Adélaïde ;

Puis, le duc d’Orléans, donnant le bras à madame la dauphine ;

Et, enfin, M. le duc de Chartres, donnant le bras à madame la duchesse de Berry.

Au-devant d’eux, et pour les recevoir à la porte du premier salon, s’avancèrent le roi et la reine de Naples.

Il y a déjà vingt-deux ans que le roi Charles X est allé mourir dans l’exil ; les hommes de notre génération l’ont vu ; mais les hommes de trente ans et les jeunes gens de vingt ne l’ont pas vu : c’est pour eux que nous écrivons les lignes suivantes.

Charles X était, alors, un vieillard de soixante et seize ans, grand, mince, portant d’habitude un peu inclinée sa tête, garnie de beaux cheveux blancs ; il avait l’œil encore vif et souriant, le nez bourbonien, la bouche disgracieuse, à cause de la lèvre inférieure qui retombait sur le menton ; du reste, plein de grâce, de courtoisie, de foi et de loyauté ; fidèle à ses amitiés, fidèle à ses serments ; il avait tout d’un roi, excepté l’enthousiasme. Il avait dans les manières quelque chose de grand et de royal qu’il tenait de sa race. Si l’article 14 n’eût pas été dans la Charte, il n’eût certes pas songé à faire un coup d’État ; car, pour faire un coup d’État, il eût fallu manquer à son serment, forfaiture après laquelle — il le disait lui-même — il n’eût osé regarder ni le portrait de François Ier, ni la statue du roi Jean. Au surplus désirant l’absolutisme par paresse, la tyrannie par défaut d’activité, il avait coutume de dire, à propos de tyrannie et d’absolutisme : « Vous pétririez tous les princes de la maison de Bourbon dans le même mortier, que vous n’en tireriez pas un grain de despotisme ! » et Louis Blanc l’a admirablement peint dans