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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/71

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pure du barreau, législateur sans crainte et sans reproche ; vous qui, en revoyant le procès de Jésus, avez écrit sur Ponce Pilate ces lignes sublimes :

« Pilate, voyant qu’il ne pouvait rien gagner sur l’esprit de cette multitude, mais que le tumulte s’excitait de plus en plus, Pilate fit apporter de l’eau, et, lavant ses mains devant le peuple, il leur dit : « Je suis innocent du sang de ce juste, et ce sera à vous d’en répondre. » (Math., xxvii, 24). Et il accorda ce qu’ils demandaient (Luc, xxiii, 24), et il le remit entre leurs mains pour être crucifié. (Math., xxvii, 26.)

« Lave tes mains, Pilate ! elles sont teintes du sang innocent ! Tu l’as octroyé par faiblesse, tu n’es pas moins coupable que si tu l’avais sacrifié par méchanceté ; » les générations ont redit jusqu’à nous : « Le juste a souffert sous Ponce Pilate » (passus est sub Pontio Pilato). »

« Ton nom est resté dans l’histoire pour servir d’enseignement à tous les hommes publics, à tous les juges pusillanimes, pour leur révéler la honte qu’il y a de céder contre sa propre conviction !… La populace en fureur criait au pied de ton tribunal ; peut-être toi-même n’étais-tu pas en sûreté sur ton siège ; qu’importe ! ton devoir parlait, et, en pareil cas, mieux vaut recevoir la mort que la donner ! »

Ô cher monsieur Dupin ! avocat de Jésus Christ et de Béranger sous la Restauration ; président de la Chambre et procureur général sous Louis-Philippe ; président de l’assemblée nationale et procureur général sous la République, pourquoi n’écrivez-vous pas vos Mémoires, comme je fais des miens ? pourquoi, tout à l’encontre de ce lâche Ponce Pilate, qui a eu peur, ne vous montrez-vous pas, vous, inamovible dans vos convictions, inébranlable dans vos devoirs, tenace dans vos sympathies, immobile sur votre banc de procureur général, calme sur votre fauteuil de président, impassible sur votre chaise curule de législateur ?… Quel enseignement le monde eût pu tirer des Mémoires d’un homme qui, comme vous, eut tant d’occasions de donner des preuves de sa fidélité aux Bour-