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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/88

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

D’instruction historique, Carrel en avait peu, — excepté à l’endroit de nos voisins d’outre-mer ; secrétaire d’Augustin Thierry au moment où Augustin Thierry écrivait son beau livre de la Conquête de l’Angleterre par les Normands, Carrel, lui, des miettes de cette table splendide, avec sa ferme sobriété, avait fait un abrégé de l’histoire d’Angleterre.

Nous étions assez liés, quoique nous fussions peut-être injustes l’un pour l’autre : il me regardait trop comme un poëte, je le regardais trop comme un soldat.

Je le trouvai tranquillement occupé à déjeuner. Il avait signé la protestation pour accomplir un devoir, jouant sa tête à la pointe de la plume avec le même calme que, deux ou trois fois déjà, il l’avait jouée à la pointe de l’épée, mais ne croyant absolument à rien, qu’à la résistance légale.

Quant à la résistance à main armée, il la niait absolument.

Il comptait rester chez lui, et travailler toute la journée ; sur mes instances, sur ce que je lui dis qu’il m’avait semblé voir dans les rues un commencement d’agitation, il se décida à sortir, mit dans ses goussets une paire de petits pistolets de poche du genre de ceux qu’on appelle des coups de poing, prit à la main une petite canne de baleine flexible comme une cravache, et descendit avec moi du côté des boulevards.

Sans doute, refroidi par ses affaires de Béfort et de la Bidassoa, hésitait-il à se mettre en avant, lui qui avait vu tant de gens demeurer en arrière.

Nous longeâmes les boulevards depuis la rue de la Chaussée-d’Antin jusqu’à la rue Vivienne, puis nous descendîmes place de la Bourse.

On se précipitait vers la rue de Richelieu. Les bureaux du journal le Temps étaient, disait-on, envahis et mis à sac par un détachement de gendarmerie à cheval.

Il va sans dire que nous suivîmes la foule ; il n’y avait, comme presque toujours, que la moitié de l’histoire qui fût vraie. Une vingtaine de gendarmes, en effet, étaient rangés en bataille devant la maison où se trouvait l’imprimerie ; située au fond d’une vaste cour.