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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/119

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Belle-Île, l’île de Fouquet, qui devait donner, plus tard, son nom à l’héroïne d’une de mes comédies, et, plus tard encore, devenir le théâtre du dénoûment de la triple épopée des Mousquetaires, et fournir à mon pauvre ami Porthos une tombe digne de lui. Alors, ces différents noms me frappaient comme des sons indifférents ; mais, restés néanmoins au fond de ma mémoire, ils devaient en sortir un jour avec tout cet échafaudage des rêves de mon imagination ; Délos flottantes qui s’arrêteront plus ou moins avant dans les espaces de l’avenir.

En face de nous s’étendait la mer aux crêtes dentelées, se joignant, vers l’horizon, à un ciel tout assombri de nuages dans lesquels le soleil commençait à s’ensevelir. Nous étions à trois lieues du port à peu près, à la hauteur de cet écueil qu’on appelle les Piliers ; les mauvaises passes étaient franchies, le vent tournait au sud-sud-ouest, et fraîchissait. Le pilote déclara que sa besogne était finie, qu’il remettait le commandement au capitaine, et qu’il allait regagner la terre.

Quant à moi, je regardai avec une certaine inquiétude, je l’avoue, les moyens de descente qui m’étaient offerts pour passer du bâtiment dans la barque.

Ces moyens se réduisaient à une simple échelle de cordes collée aux flancs arrondis du navire.

Et, par-dessus tout cela, le navire filait ses sept nœuds à l’heure.

Il y eut un moment où j’eus bien envie de ne descendre qu’à la Guadeloupe.

Par bonheur, le capitaine comprit ce qui se passait en moi ; il réfléchit qu’un petit retard de dix minutes n’était rien sur un voyage de six semaines.

— Allons, me dit-il, faites vos adieux, tandis que je vais mettre le bâtiment en panne.

Puis il cria :

— La barre dessous !

À l’instant même, les voiles fasièrent. On exécutait pour moi la même manœuvre que pour un homme tombé à la mer.