Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


CLXXVI


Mes conventions avec Dorval. — Je lui lis Antony. — Ses impressions. — Elle me fait refaire le dernier acte séance tenante. — La chambre de Merle. — Bocage artiste. — Bocage négociateur. — Lecture à M. Crosnier. — Il s’endort d’un profond sommeil. — La pièce est néanmoins reçue.

Je revins le soir. Dorval était seule : elle m’attendait.

— Ah ! ma foi ! m’écriai-je, je n’espérais pas un tête-à-tête.

— J’ai dit que j’avais une lecture.

— Et as-tu dit qui lisait ?

— Oh ! non ; mais, d’abord, viens t’asseoir ici, et écoute-moi, mon bon chien.

Je me laissai conduire à un fauteuil. Je m’assis.

Elle resta debout devant moi, avec ses deux mains dans les miennes ; elle me regarda de son bon et doux regard.

— Tu m’aimes, toi, n’est-ce pas ? me dit-elle.

— De tout mon cœur !

— Tu m’aimes véritablement ?

— Puisque je te le dis.

— Pour moi ?

— Pour toi.

— Tu ne voudrais donc pas me faire de la peine ?

— Ah ! grand Dieu !

— Tu désires que je joue ton rôle ?

— Puisque je te l’apporte.

— Tu ne veux pas entraver ma carrière ?

— Ah çà ! mais tu es folle !

— Eh bien, ne me tourmente plus comme tu as fait ce matin. Je n’aurais pas la force de me défendre, moi, et… et je suis heureuse comme je suis ; j’aime de Vigny, il m’adore. Tu sais, il y a des hommes que l’on ne trompe pas, ce sont les hommes de génie, ou, si on les trompe, ma foi, tant pis pour celles qui les trompent !