Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
214
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


CLXXIX


Béranger patriote et Béranger républicain.

En devenant ministre, Laffitte avait voulu entraîner avec lui, dans les hauteurs politiques où on le forçait de monter, un homme qui, nous l’avons dit, avait peut-être plus encore que l’illustre banquier contribué à l’avénement au trône du roi Louis-Philippe.

Cet homme, c’était Béranger.

Mais, avec sa rectitude de sens, Béranger avait compris que, pour lui comme pour Laffitte, monter en apparence, c’était descendre en réalité ; il laissa donc tous ses amis s’aventurer sur ce pont de Mahomet étroit comme le fil d’un damas, et qu’on appelle le pouvoir ; mais, lui, secouant la tête, il prit congé d’eux par cette chanson :

Non, mes amis, non, je ne veux rien être ;
Semez ailleurs places, titres et croix.
Non, pour les cours Dieu ne m’a point fait naître ;
Oiseau craintif, je fuis la glu des rois !
Que me faut-il ? Maîtresse à fine taille,
Petit repas et joyeux entretien !
De mon berceau près de bénir la paille,

En me créant, Dieu m’a dit : « Ne sois rien ! »
 

Sachez pourtant, pilotes du royaume,
Combien j’admire un homme de vertu
Qui, désertant son hôtel ou son chaume,
Monte au vaisseau par tous les vents battu.
De loin, ma voix lui crie : « Heureux voyage ! »
Priant de cœur pour tout grand citoyen ;
Mais, au soleil, je m’endors sur la plage.

En me créant. Dieu m’a dit : « Ne sois rien ! »