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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/220

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ne crains plus qu’on t’emprisonne,
Du moins à Poissy…
Chanson, reprends ta couronne !
— Messieurs, grand merci !

Mais, pourtant, laisse en jachère
Mon sol fatigué ;
Mes jeunes rivaux, ma chère,
Ont un ciel si gai !
Chez eux la rose foisonne,
Chez moi le souci.
Chanson, reprends ta couronne !
— Messieurs, grand merci !

Cette chanson était une véritable déclaration de guerre, et, cependant, elle passa inaperçue ; ceux qui en parlaient — les poètes — avaient l’air de parler d’une chose tombée de la lune, d’un aérolithe que personne n’avait ramassé. Une chanson de Béranger ! Qu’est-ce que c’était que cela, une chanson de Béranger ? On n’avait pas lu la chanson ; et, quant à Béranger, on connaissait bien un poëte de ce nom-là qui avait fait le Dieu des bonnes gens, l’Ange gardien, le Cinq Mai, les Deux Cousins, le Ventru, toutes chansons attaquant peu ou prou Louis XVIII et Charles X ; mais on ne connaissait pas ce Béranger qui se permettait d’attaquer Louis-Philippe !

Pourquoi cette ignorance à l’endroit du nouveau Béranger ? pourquoi cette surdité à l’endroit de la nouvelle chanson ?

Nous allons le dire.

Il y a, à la suite de tout revirement politique, une période réactionnaire pendant laquelle les intérêts matériels l’emportent sur la nationalité, les appétits honteux sur les nobles passions ; pendant cette période-là, — et Louis-Philippe en fut un exemple, — tout ce que fait le gouvernement qui caresse ces intérêts et qui soûle ces appétits est bien fait : les actes de ce gouvernement, fussent-ils visiblement illégaux, tyranniques, immoraux, sont des actes sauveurs ! on les loue, on les approuve ; on fait du bruit autour du pouvoir, comme ces prêtres de Cybèle qui battaient des cymbales autour du ber-