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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/307

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avait promené Hector autour des murs de Pergame, la proposition fut accueillie avec enthousiasme.

Seulement, comme le vaincu était vivant, et non pas mort, on lui passa la corde autour du cou, au lieu de la lui passer dans les talons, et l’extrémité de cette corde fut mise aux mains d’une des pénitentes les plus exaltées de l’abbé Ledru. Cette pénitente s’appelait la Grenadier. Il est inutile de dire que, pareil au nom de l’abbé Ledru, celui de sa pénitente ressortait des qualités physiques et morales de la virago.

Chacun emplit ses poches de pierres, afin d’être prêt à l’attaque comme à la défense, et l’on s’achemina vers Chartres, faisant escorte au patient, lequel marchait au martyre avec une répugnance visible.

Il y a une demi-lieue de Lèves à Chartres ; cette demi-lieue fut pour le pauvre prêtre une véritable voie douloureuse.

Les Lévois avaient parfaitement calculé ce qu’ils faisaient en confiant le bout de la corde à la Grenadier. Quand les sauvages des Florides veulent infliger à quelqu’un de leurs prisonniers de suprêmes douleurs, ils confient le soin de son supplice aux femmes et aux enfants.

En arrivant à Chartres, les vainqueurs ne trouvèrent point la résistance à laquelle ils s’attendaient ; mais, en échange, ils en trouvèrent une à laquelle ils ne s’attendaient pas : on ne vit ni préfet, ni général, ni chef de gendarmerie, ni procureur du roi, ni substituts, ni juges ; mais quelques philanthropes vinrent au-devant des Lévois, et leur firent entendre ce qu’à la fin du dernier siècle on appelait le langage de la raison :

Ce n’était pas la faute du pauvre prêtre s’il avait été désigné par l’évêque pour remplacer l’abbé Ledru ; il ignorait la vénération dont celui-ci était l’objet de la part de ses paroissiens ; il n’était ni plus ni moins coupable que son prédécesseur l’abbé Duval ; et, quand l’un avait abordé un troupeau de moutons, pourquoi l’autre serait-il tombé dans une bande de tigres ?… C’était la faute de l’évêque, qui avait tout d’abord et brutalement destitué l’abbé Ledru, et qui avait eu l’audace de lui nommer un premier, puis un second successeur !