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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de Goritz, l’autre dans celui de Claremont ? — moi qui avais eu presque autant de mal à conquérir ma meule que Louis-Philippe son trône, je dormais certainement mieux, sous ma voûte de paille, que celui-ci sous son dais de velours.

Vers quatre ou cinq heures du matin, je fus réveillé par une fusillade des mieux nourries : les balles se croisaient en sifflant, et les fiacres, qui devaient nous servir de barricades contre l’attaque des Suisses et la garde royale, se sauvaient en tout sens à travers la plaine, au grand galop de leurs chevaux.

C’était une fausse alerte. Qu’eût-ce donc été, mon Dieu ! si l’alerte eût été véritable ?

Voici ce qui était arrivé :

Des hommes accourant de Rambouillet avaient déchargé leurs fusils en l’air. On avait cru, dans le camp, que le combat s’engageait ; on s’était levé à moitié endormi, on avait fait feu au hasard ; le premier sentiment de l’homme qui a un fusil entre les mains est de s’en servir : de là cette fusillade et ce croisement de balles par lesquels je venais d’être éveillé moi-même.

Enfin, tout s’expliqua, tout s’éclaircit ; on en fut quitte pour un homme tué et deux ou trois blessés ; on entonna une immense Marseillaise et l’on reprit la route de Paris.

Seulement, Delanoue et moi, nous la reprîmes à pied : notre fiacre avait déserté un des premiers, et il nous fut impossible de remettre la main dessus.

Nous revînmes, je me le rappelle, jusqu’à Versailles à travers champs avec mes bons et chers amis Alfred et Tony Johannot, disparus tous deux aujourd’hui avant l’âge, et qui seront restés frères dans la mort comme ils l’étaient dans la vie !

À Versailles, nous prîmes une voiture qui nous ramena à Paris.

Que devenaient, cependant, le général et l’état-major de l’armée expéditionnaire de l’Ouest ?

Nous allons le dire.

Aux premiers coups de fusil, Pajol était monté à cheval, et