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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/8

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vous presse de telle sorte, que vous ne puissiez la refuser, nous est-il permis de vous demander quelle est votre opinion sur les traités de 1815 ? Faites-y attention, ce n’est point seulement une révolution libérale qui vient de s’accomplir, c’est une révolution nationale ; la vue du drapeau tricolore, voilà ce qui a soulevé le peuple ; c’est la dernière amorce de Waterloo que nous venons de brûler, et il serait plus facile encore de pousser le peuple sur le Rhin que sur Saint-Cloud[1]

— Messieurs, répondit le duc, je suis trop bon Français, je suis trop bon patriote surtout pour être partisan des traités de 1815 ; mais je crois la France fatiguée de guerres ; la rupture des traités, c’est la guerre européenne… Croyez-moi, il importe de garder beaucoup de mesure vis-à-vis des puissances étrangères, et certains sentiments ne doivent pas être exprimés trop haut.

— Passons donc à la pairie, prince…

— À la pairie, soit.

Et le duc se mordit les lèvres, comme un homme habitué à interroger, et qu’on force à son tour à subir un interrogatoire.

— La pairie, et vous serez forcé d’en convenir, continua Boinvilliers, la pairie n’a plus de racines dans la société… Le Code, en abolissant le droit d’aînesse, les fidéicommis et les majorats ; le Code, en divisant les héritages à l’infini, a étouffé l’aristocratie dans son germe, et l’hérédité nobiliaire a fait son temps.

— Peut-être, messieurs, vous trompez-vous sur cette question d’hérédité, qui est, à mon avis, la seule source d’indépendance qu’il y ait dans les institutions politiques… Un

  1. Comme nulle part encore cette conversation n’a été rapportée intégralement, j’en appelle à la fois à l’histoire et au souvenir des personnes qui assistaient à l’entrevue. Quant aux paroles dites par Godefroy Cavaignac et à la réponse du roi, je puis certifier leur authenticité, les ayant écrites, dans le temps, sous la dictée même de Godefroy, qui était incapable de mentir.