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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/115

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Justement ! je ne suis pas sûr du quatrième acte, et j’aime autant qu’il commence sans moi.

— Es-tu sur de la fin ?

— Oh ! la fin, c’est autre chose… Nous reviendrons pour la fin, sois tranquille !

Nous nous élançâmes sur le boulevard.

— Ah ! fis-je en respirant.

— Qu’as-tu donc ?… Est-ce ta pièce qui te met comme cela ?

— Allons donc, ma pièce !

J’entraînai Bixio vers la Bastille. De quoi parlâmes-nous ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que nous fîmes une demi-lieue, aller et retour, en bavardant et en riant.

Si l’on eût dit aux passants : « Vous voyez bien ce grand fou qui est là-bas ? C’est l’auteur de la pièce qu’on joue en ce moment au théâtre de la Porte-Saint-Martin ! » ils eussent, à coup sûr, été bien étonnés.

Je rentrai au bon moment, à la scène de l’insulte. Le feuilleton, comme disait Dorval, c’est-à-dire l’apologie du drame moderne, la vraie préface d’Antony, avait passé sans encombre et même avait été applaudi.

J’avais une baignoire, près du théâtre ; je fis signe à Dorval que j’étais là. Elle me fit signe qu’elle me voyait.

Puis commença la scène entre Adèle et la vicomtesse, la scène qui se résume par ces mots : « Mais je ne lui ai rien fait, à cette femme ! » Puis la scène entre Adèle et Antony, où Adèle répète à trois ou quatre reprises : « C’est sa maîtresse ! »

Eh bien, je le dis après vingt-deux ans, — et, pendant ces vingt-deux ans, j’ai fait bien des drames, j’ai vu représenter bien des pièces, j’ai applaudi bien des artistes, — eh bien, qui n’a pas vu Dorval jouant ces deux scènes, celui-là eût-il vu tout le reste du répertoire moderne, n’a pas une idée du point où le pathétique peut être porté.

On sait comment se termine cet acte : la vicomtesse entre ; Adèle, surprise dans les bras d’Antony, jette un cri, et disparaît. Derrière la vicomtesse entre à son tour le domestique d’Antony, qui arrive à franc étrier de Strasbourg, et qui annonce à son maître le retour du mari d’Adèle Antony s’élance