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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/190

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


CCVII


Une lecture chez Nodier. — Les auditeurs et les lecteurs. — Début. — Les Marrons du feu. — La Camargo et l’abbé Desiderio. — Généalogie d’une idée dramatique. — Oreste et Hermione. — Chimène et don Sanche. — Gœtz de Berlichingen. — Fragments. — Où je rends à César ce qui appartient à César.

Vers la fin de 1830 ou le commencement de 1831, nous fûmes conviés à une soirée chez Nodier. Un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans devait y lire quelques fragments d’un livre de poésie qu’il venait de faire imprimer. Ce jeune homme portait un nom alors à peu près inconnu dans les lettres, et pour la première fois ce nom allait être livré à la publicité.

On ne manquait jamais à une convocation faite par notre cher Nodier et notre belle Marie. Tout le monde fut donc exact au rendez-vous. Par tout le monde, j’entends notre cercle ordinaire de l’arsenal : Lamartine, Hugo, de Vigny, Jules de Rességuier, Sainte-Beuve, Lefebvre, Taylor, les deux Johannot, Louis Boulanger, Jal, Laverdant, Bixio, Amaury Duval, Francis Wey, etc. ; puis une foule de jeunes filles, fleurs en bouton, devenues aujourd’hui de belles et bonnes mères de famille.

Vers dix heures, un jeune homme de taille ordinaire, mince, blond, avec des moustaches naissantes, de longs cheveux bouclés rejetés en touffe d’un côté de la tête, un habit vert très-serré à la taille, un pantalon de couleur claire, entra, affectant une grande désinvolture de manières qui n’était peut-être destinée qu’à cacher une timidité réelle.

C’était notre poëte.

Parmi nous, peu le connaissaient personnellement, peu de vue, peu même de nom.

On lui avait préparé une table, un verre d’eau, deux bougies.

Il s’assit, et, autant que je puis me le rappeler, il lut, non pas sur un manuscrit, mais sur un livre imprimé.