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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/215

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avec le titre de régente, quittait Édimbourg, traversait la Hollande, séjournait un jour ou deux à Mayence, autant à Francfort, franchissait la Suisse, entrait dans le Piémont ; puis, enfin, s’arrêtait, sous le nom de comtesse de Sagena, à Sestri, petite ville située à douze lieues de Gênes, dans les États du roi Charles-Albert.

Ainsi, sans que Bonnechose s’en doutât, la mort l’ajournait à un an !

Cependant, le bruit commençait à se répandre à Paris que l’on venait de découvrir un nouveau port de mer entre Honfleur et la Délivrande.

Il en résultait que l’on voyait arriver de temps en temps un baigneur hasardeux qui demandait d’une voix timide :

— Est-ce vrai qu’il existe un village appelé Trouville, et que ce village est celui dont voici le clocher ?

Et je répondais oui, à mon grand regret ; car je pressentais l’heure où Trouville deviendrait un autre Dieppe, un autre Boulogne, un autre Ostende.

Je ne me trompais pas. Hélas ! Trouville a maintenant dix auberges ; le terrain qui se vendait cent francs l’arpent se vend aujourd’hui cinq francs le pied.

Un jour, au nombre de ces baigneurs hasardeux, de ces touristes égarés, de ces navigateurs sans boussole, arriva un homme de vingt-huit à trente ans, qui déclara s’appeler Beudin, et être banquier.

Le soir de son arrivée, je me baignais assez loin en mer, quand, à dix pas de moi, sur le dos d’une vague, j’aperçus un poisson qui réalisait le rêve de Marécol dans l’Ours et le Pacha, c’est-à-dire un gros poisson, un énorme poisson, un poisson comme on n’en voit guère, un poisson comme on n’en voit pas.

Avec un peu plus d’amour-propre, je l’eusse reconnu pour un dauphin, et j’eusse cru qu’il me prenait pour un autre Arion ; mais je le reconnus simplement pour un poisson de taille gigantesque, et, je l’avoue, son voisinage m’inquiéta.

Je me mis à nager de toutes mes forces vers la terre.

Je nageais bien, à cette époque ; mais, en sa qualité de pois-