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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/54

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

j’ai toujours plaint les nobles infortunes ; fils du peuple, je n’ai jamais renié la gloire.
» Alors, ce monde m’apparaissait libre et puissant sous les cieux, et je pensais que le dernier salut de l’univers aux fantômes des anciens jours serait sa première aspiration vers les magnificences de l’avenir.
» Il n’en fut rien. Le passé, en s’abîmant sous la terre, n’avait point entraîné avec lui tout son cortège de ténèbres.
» Or, je m’en suis allé vers les grèves arides que l’Océan blanchit de son écume. Les mouettes saluaient de leurs cris sauvages les rochers de la côte, et la grande voix de la mer était plus douce à mon oreille que le langage des hommes… »

Puis vient le récit des sensations de l’apôtre mis en contact avec tous les grands aspects de la nature ; il reste un an loin de Paris ; mais, enfin, sa vocation le rappelle parmi les hommes.

« Or, ce même soir où, de retour de mon pèlerinage, je marchais rêveur au milieu du tumulte de la grande cité d’Occident, plus que jamais mon âme était affaissée sous le poids de sa déchéance.
» Je me voyais, comme au temps de mes belles années, plein de confiance en Dieu et en l’avenir ; et puis je reportais mes regards sur moi, sur moi, l’homme du présent, éternellement ballotté entre une crainte et une espérance, entre un désir et un remords, entre le calme et le découragement.
» Et, quand je me fus bien contemplé ainsi, quand, j’eus remué avec ma pensée toute cette fange, quand j’eus songé à ce qui avait germé de bon sous mon flanc, et à ce qui s’en exhalait de corrompu, je levai, avec une rage indicible, le poing vers le ciel, et je dis à Dieu :
» — Mais à qui donc appartient la terre ?
» Au même instant, je me sentis heurté avec violence, et, par un mouvement que je ne pus réprimer, mon bras s’abaissa pour frapper : sur la joue de celui qui me coudoyait, il me semblait souffleter ce monde.