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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/153

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

CCXXXIII

Invasion du choléra. — Aspect de Paris. — La médecine et le fléau. — Proclamation du préfet de police. — Les prétendus empoisonneurs. — Réclame d’Harel. — Le Mari de la veuve. — Comment cette pièce fut faite, — Mademoiselle Dupont. — Eugène Durieu et Anicet Bourgeois. — Catherine (non Howard) et le choléra. — Première représentation du Mari de la veuve. — Un horoscope qui ne s’est pas vérifié.

Cependant, la France suivait depuis longtemps avec inquiétude la marche du choléra. Parti de l’Inde, il avait pris la route des grands courants magnétiques, avait traversé la Perse, gagné Saint-Pétersbourg, et s’était rabattu sur Londres.

Le détroit seul nous séparait de lui.

Qu’était-ce-donc que la distance de Douvres à Calais pour un géant qui venait de faire trois mille lieues ?

Aussi traversa-t-il le détroit d’une seule enjambée.

Je me rappelle le jour où il frappa son premier coup : le ciel était d’un bleu de saphir ; le soleil, plein de force. Toute la nature renaissait avec sa belle robe verte et les couleurs de la jeunesse et de la santé sur les joues. Les Tuileries étaient émaillées de femmes, comme l’est une pelouse de fleurs ; les émeutes, éteintes depuis quelque temps, laissaient un peu de calme à la société, et permettaient aux spectateurs de se hasarder dans les théâtres.

Tout à coup, cet effroyable cri retentit, poussé par une de ces voix dont parle la Bible, qui passent dans les airs en jetant à la terre les malédictions du ciel.

— Le choléra est à Paris !

On ajoutait :

— Un homme vient de mourir rue Chauchat ; il a été littéralement foudroyé !

Il sembla qu’à l’instant même un crêpe s’étendait entre le ciel bleu, le soleil si pur et Paris.