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Page:Dumas fils - La Dame aux camélias, 1852.djvu/94

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versées, et qui viennent faire les difficiles pour le voisinage.

Vous me croirez si vous voulez, monsieur, je ne connaissais pas cette demoiselle, je ne sais pas ce qu’elle a fait ; eh bien, je l’aime, cette pauvre petite, et j’ai soin d’elle, et je lui passe les camélias au plus juste prix. C’est ma morte de prédilection. Nous autres, monsieur, nous sommes bien forcés d’aimer les morts, car nous sommes si occupés que nous n’avons presque pas le temps d’aimer autre chose.

Je regardais cet homme, et quelques-uns de mes lecteurs comprendront, sans que j’aie besoin de le leur expliquer, l’émotion que j’éprouvais à l’entendre.

Il s’en aperçut sans doute, car il continua :

— On dit qu’il y avait des gens qui se ruinaient pour cette fille-là, et qu’elle avait des amants qui l’adoraient ; eh bien, quand je pense qu’il n’y en a pas un qui vienne lui acheter une fleur seulement, c’est cela qui est curieux et triste. Et encore, celle-ci n’a pas à se plaindre, car elle a sa tombe, et s’il n’y en a qu’un qui se souvienne d’elle, il fait les choses pour les autres. Mais nous avons ici de pauvres filles du même genre et du même âge qu’on jette dans la fosse commune, et cela me fend le cœur quand j’entends