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Page:Dunan - Eros et Psyché, 1928.djvu/50

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titres universitaires à conquérir et d’une tradition qui le ligotait étroitement.

— Non ! je ne suis pas libre, ou bien le mot liberté n’exprime pas la même chose pour vous et moi. Mais vous êtes libre, vous, Lucienne.

Elle crispa ses mains fines avec un geste de désespoir.

— Moi, Jean ! Ah ! toute la misère du monde est sur mol.

La phrase était belle. Jean fut ému comme si la jeune fille fût tombée morte à l’instant.

— Oh ! Lucienne !

— Jean ! Jean ! Mes parents veulent me marier à Pierre Dué…

Lui connaissait le redoutable forgeron. L’idée que cette gracieuse enfant pût appartenir corps et âme — corps surtout — à cet homme sale et violent le pinça au cœur, mais il ne dit rien.

Il avait été élevé dans le respect des traditions de famille et l’indépendance de l’être humain dans la société ne lui apparaissait pas comme un corps de doctrine.

Elle le regarda, effarée qu’il ne protestât point, qu’il ne criât point son indignation. Quoi, lui aussi trouvait naturel que Lucienne Dué, à dix-huit ans, jolie et fine comme elle était, fût donnée à ce forgeron quinquagénaire qui disait partout son besoin de femmes ?