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Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/34

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tous leurs bidons en s’acquittant de ce devoir charitable. Cependant leur café put enfin se faire, mais à peine était-il prêt que des coups de feu se faisant entendre dans le lointain, l’alerte fut donnée ; aussitôt les hussards sautent à cheval et partent précipitamment dans la direction de la fusillade, sans avoir eu le temps de boire leur café qui est renversé dans le tumulte ; mais bientôt ils s’aperçoivent que ce qu’ils avaient pris pour l’ennemi revenant à la charge, était tout simplement des coups de fusil partis des avant-postes français, dont les vedettes faisaient feu sur leurs propres soldats cherchant aussi de l’eau et du bois, et que ces sentinelles avaient cru être des Autrichiens. Après cette alerte, les cavaliers revinrent harassés se jeter sur la terre pour y dormir le reste de la nuit, sans avoir pris aucun aliment, mais leur retour ne s’effectua pas sans rencontrer encore de nombreux blessés qui demandaient toujours à boire. Un Tyrolien qui gisait non loin de leur bivouac, leur adressait des supplications qui ne pouvaient plus être exaucées, car l’eau manquait entièrement ; le lendemain matin on le trouva mort, l’écume à la bouche et la bouche pleine de terre ; son visage gonflé était vert et noir ; il s’était tordu dans d’atroces convulsions jusqu’au matin, et les ongles de ses mains crispées étaient recourbés.

Dans le silence de la nuit on entend des gémissements, des soupirs étouffés pleins d’angoisse et de souffrance, et des voix déchirantes qui appellent du secours. Qui pourra jamais redire les agonies de cette horrible nuit !