Aller au contenu

Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans l’hôpital voisin on emploie quelquefois le chloroforme : alors le patient, surtout le Français, traverse deux périodes bien distinctes ; il passe d’une agitation, qui va souvent jusqu’au délire furieux, à un abattement et à une prostration complète, dans laquelle il demeure plongé comme dans une profonde léthargie ; quelques militaires, adonnés à l’usage des liqueurs fortes, ne sont que très-difficilement chloroformés et se débattent longtemps contre ce puissant anesthésique. Les accidents et les cas de mort avec le chloroforme ne sont point aussi rares qu’on pourrait le croire, et parfois c’est en vain qu’on essaie de rappeler à la vie celui qui, quelques instants auparavant, vous parlait encore.

Qu’on se représente maintenant une opération de ce genre sur un Autrichien, ne sachant ni l’italien ni le français, et qui se laisse conduire à peu près comme un mouton à la boucherie, sans pouvoir échanger une seule parole avec ses charitables bourreaux. Les Français rencontrent partout de la sympathie, ils sont flattés, choyés, encouragés, et, lorsqu’on leur parle de la bataille de Solférino, quoiqu’ils y aient été si cruellement frappés, ils s’animent et discutent : ces souvenirs, glorieux pour eux, les enthousiasment et semblent, en reportant ainsi leurs pensées ailleurs que sur eux-mêmes, adoucir un peu leur position. Mais les Autrichiens n’ont point les mêmes priviléges. Dans les divers hôpitaux où ils sont parqués, j’insiste absolument pour les voir, ou bien je pénètre presque de force dans leurs chambrées. Avec quelle vive gratitude