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Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/92

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prononçait cet arrêt inexorable : bientôt ils s’apercevaient de leur délaissement, c’était le cœur déchiré et ulcéré qu’ils rendaient le dernier soupir, sans que personne s’en émût ou y prît garde ; et la fin de tel d’entre eux était peut-être encore rendue plus triste et plus amère par le voisinage de quelque jeune zouave, légèrement blessé, dont les plaisanteries frivoles et déplacées, partant du lit à côté du sien, ne lui laissent ni trêve ni repos, et par la proximité d’un autre compagnon d’infortune qui vient d’expirer, ce qui le force d’assister, lui moribond, aux funérailles si lestes, dévolues à ce camarade défunt, funérailles qui mettent d’avance sous ses yeux celles qu’il subira bientôt lui-même ; et heureux est-il s’il n’aperçoit pas certaines gens qui, le voyant à l’article de la mort, profitent de son état de faiblesse pour aller fureter dans son havre-sac et le dévaliser de ce qu’ils y trouveront à leur convenance. Ce mourant, abandonné, a pourtant, depuis huit jours, des lettres de sa famille à la poste : si elles lui étaient remises, elles seraient pour lui une consolation suprême ; il a supplié, à diverses reprises, les gardiens d’aller les lui chercher, pour qu’il puisse les lire avant son heure dernière, mais les gardiens paresseux ont répondu durement qu’ils n’en avaient pas le temps, ayant bien autre chose à faire.

Il eût mieux valu pour toi, pauvre martyr, que tu eusses péri brusquement frappé d’une balle sur le champ de carnage, au milieu de ces splendides horreurs qu’on nomme la gloire ! ton nom du moins eût été entouré d’un peu