Aller au contenu

Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais la séduire et aujourd’hui elle était séduite. Il s’était bien juré aussi de se conduire en honnête homme, mais la passion s’effrayait du mot mariage, elle y voyait un importun fantôme. Le mariage avec Lévise soulevait aussitôt une longue suite d’obstacles, de luttes avec la famille, avec l’opinion. Louis ne s’affirmait pas qu’il ne l’épouserait jamais, mais, au moment où l’amour donnait sa précieuse récolte de bonheur, fallait-il envisager l’épouvantail ? Et quelle garantie aurait-il donc que Lévise n’eût pas manœuvré habilement, ainsi que l’avait prétendu Euronique pour se faire épouser ? Louis fut effrayé de remuer toutes ces idées et de se voir en face d’un parti à prendre ou d’une accusation à porter contre Lévise. Il ne voulait que profiter des joies de la tendresse sans se fatiguer d’autres préoccupations. Il se dit qu’il avait gagné son bonheur et qu’il serait toujours temps de le troubler lui-même.

Lévise rompit presque aussitôt l’enchantement mauvais qui venait de s’abattre sur le jeune homme.

— Es-tu contrarié ? demanda-t-elle ; ce que je crains, c’est que tu ne restes peut-être ici à cause de moi.

Lévise était bien loin des pensées que lui supposait Louis. Il s’en douta à ses dernières paroles ; mais l’esprit inquiet du jeune homme était toujours sur le qui-vive. Malgré lui, Louis cherchait pourquoi Lévise désirait sitôt quitter Mangues. Il analysa soudain toute l’attitude de la jeune fille depuis les derniers jours. Il crut voir qu’elle se métamorphosait en une personne bien autrement décidée et douée d’initiative que par le passé. Cependant il eût dû comprendre par la fuite de Lévise que celle-ci suivait facilement son premier mouvement. Il s’aiguisa l’esprit pour pénétrer clairement dans la nature de la paysanne, et il retira de cette investigation un soupçon mordant qui avait déjà montré sa pointe.