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Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/256

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— Où suis-je tombé ? se disait-il. Voilà une malheureuse fille dont je m’amourache, et tandis que cela eût, pour dix mille autres gens, suivi un cours ordinaire, la fatalité veut que tout se lève contre cette fille et contre moi, et que je sois jeté à je ne sais quel niveau dégradant, chansonné et outragé par des valets de ferme, des servantes, que des braconniers m’insultent et me dictent des conditions, que je sois le rival de l’un d’eux. Mais pourquoi n’ai-je pas été averti par un signe quelconque de ce qui devait m’arriver ? Il faudrait donc que je devinsse le beau-frère de ce grand bandit ! Et si cette malheureuse enfant qui pleure et se tord devant moi, si pour apaiser ses chagrins, car je ne puis supporter de la voir souffrir, si je l’épouse, il faudra que je rompe à jamais avec ma famille, avec les miens, que je fasse des sommations respectueuses ! Je le ferais bien, pensait-il, mais ces gens ne diront-ils pas qu’ils m’y ont forcé ! Et si je ne l’épouse pas, où en sera ma conscience ? Je l’ai séduite ! Tout cela, je l’ai voulu, je l’ai cherché, je l’ai attiré à plaisir sur moi. Que j’aille à Paris, qu’elle y soit ma maîtresse, mais que de dangers là-bas ! On me l’enlèverait peut-être et je l’aurai perdue comme un véritable et ignoble séducteur. Que je me réfugie ailleurs, en province avec elle, que ferai-je quand il ne me restera plus d’argent ? Et si j’épouse Lévise ! et qu’elle ait été de gré ou non au beau Guillaume, une seule fois, que suis-je… non je ne puis l’épouser, ou il faut au moins que je sache pourquoi cet homme se montre si arrogant, à propos d’elle. Mais on ne peut se battre en duel avec lui ! et alors l’assassiner ! oh ! quel jour désastreux que celui où j’ai mis le pied à Mangues. Et puis encore si j’épouse Lévise, la pauvre fille est ignorante, où la conduire, comment même l’habiller ?