Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/401

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L’âme, au contraire, n’a guère d’influence que sur le corps qu’elle anime ; c’est très exceptionnellement que, au cours de sa vie terrestre, il lui arrive d’affecter des sujets étrangers.

Mais si l’âme n’a pas les caractères distinctifs de l’esprit, elle les acquiert, au moins en partie, par la mort. En effet, une fois désincarnée, et tant qu’elle n’est pas de nouveau descendue dans un corps, elle a la même liberté de mouvements qu’un esprit. Sans doute, quand les rites du deuil sont accomplis, elle est censée partir au pays des âmes ; mais d’abord, elle reste pendant assez longtemps autour du tombeau. De plus, alors même qu’elle s’en est définitivement éloignée, on croit qu’elle continue à rôder autour du camp, dans la brousse[1]. Généralement, on se la représente comme un être plutôt bienfaisant, surtout pour les membres de sa famille qui survivent : nous avons même vu que l’âme du père vient aider à la croissance de ses enfants ou de ses petits enfants. Mais il arrive aussi qu’elle fasse preuve d’une véritable cruauté ; tout dépend de son humeur et de la manière dont elle est traitée par les vivants[2]. Aussi est-il recommandé, surtout aux femmes et aux enfants, de ne pas s’aventurer hors du camp pendant la nuit, afin de ne pas s’exposer à de dangereuses rencontres[3].

Cependant, un revenant n’est pas un véritable esprit. D’abord, il n’a généralement qu’une puissance d’action restreinte ; ensuite, il n’a pas d’attributions définies. C’est un être vagabond à qui n’incombe aucune tâche déterminée ; car la mort a eu justement pour effet de le mettre en dehors de tous les cadres réguliers ; c’est, par rapport aux vivants, une sorte de déclassé. Un esprit, au contraire, a toujours une efficacité d’un certain genre et c’est même

  1. Roth, Superstition, Magic, etc., § 65, 68 ; Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 514, 516.
  2. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 515, 521 ; Dawson, Austral. Aborig., p. 58 ; Roth, Superstition, etc., § 67.
  3. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 517.