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Page:Duvernois - L'Amitié d'un grand homme, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/28

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JE SAIS TOUT
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VIII — L’INTRIGUE SE NOUE


Mme Carlingue étant née diplomate, ne bougea point quand Mlle Estoquiau débarqua à Creville. La vieille demoiselle était descendue chez ses cousins Trastravat. Il s’agissait, d’abord, de savoir où soufflerait le vent. Il souffla bientôt en tempête. Mlle Estoquiau, habituée à tout régenter, ne tarda pas à se rendre insupportable. Au bout de huit jours, ils étaient brouillés et Sylvie passa avec armes et bagages chez M. Mâchemoure, qui se réconcilia avec elle et l’accueillit, uniquement parce qu’elle venait de l’ennemi. Pendant ce temps, Lanourant étant parti vers d’autres rivages, M. Carlingue, s’était astreint à entrer dans la familiarité du quincaillier. Le soir, vers cinq heures, il l’attendait dans un obscur et frais petit café d’où l’on ne voyait ni la mer, ni un arbre, ni un coin de ciel, un petit café à l’instar des rues les plus ténébreuses de Paris et où se tenait le club local. M. Mâchemoure trouva un adversaire inespéré au jeu de dominos. Qu’il gagnât ou qu’il perdît, M. Mâchemoure affichait une égale insolence, en joie ou en douleur. On l’évitait avec soin et, depuis quelques années, il se contentait de juger les coups et d’accabler les perdants de lazzis spirituels et de leçons péremptoires.

Délégué par sa femme, M. Carlingue fit merveille : il se découvrit un secret penchant pour ce désabusé gastralgique, qui rendait le monde entier responsable de ses digestions. Une confraternité de maigres les unit. Quand Mlle Estoquiau se réfugia chez son cousin avec sa malle de bois noir, sa valise de tapisserie et un réticule de paille, sur lequel se lisaient ces mots : Souvenir de Creville-sur-Mer, Mme Carlingue put s’écrier : « Nous la tenons ! » avec certitude.

— Mâchemoure, dit M. Carlingue, car ils avaient supprimé le « monsieur », que diable allez-vous devenir avec une personne du sexe sur les bras ?

— Elle est si laide, gouailla le quincaillier, que nous ne risquons rien, ni elle ni moi, pour notre réputation. Je dois dire qu’elle gouverne d’un bout de l’année à l’autre un vieux célibataire et qu’elle a acquis dans ses fonctions un tact incomparable. Elle restera un mois à la maison sans que je souffre trop de sa présence. Nous mangeons ensemble ; elle daube sur les Trastravat et cela, fait passer le temps. La dernière bouchée avalée, je file. Elle va sur la plage. Elle