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Page:Duvernois - L'Amitié d'un grand homme, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/53

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L’AMITIÉ D’UN GRAND HOMME
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proie à une grande mélancolie. Bientôt la bûche qui flambait dans l’âtre s’éteindrait. Une sorte de fumée rousse éclairait la fenêtre ; c’était la joie des autres qui montait jusque là… M. Jeansonnet entendit un pas et espéra qu’il s’arrêterait devant sa porte. Il s’arrêta. Mme Jeansonnet, émue, se recueillait. Je vais lui dire, pensa-t-elle : « Cyprien, c’est moi. Veux-tu que tout soit oublié ? J’espère que tu n’es pas trop souffrant et que je vais pouvoir te ramener à la maison. Embrassons-nous. » Elle tourna la clef. Ô force de l’habitude ! Quand Mme Jeansonnet se trouva en face de son mari, ce furent d’autres mots qui lui vinrent aux lèvres :

— Cyprien, murmura-t-elle, je suppose que tu vas pouvoir te lever…

M. Jeansonnet balbutia ;

— Oui, certainement… Je te remercie d’être venue.

— Il y a un désordre fou ici. Tu seras mieux à la maison.

— Sans doute.

— Je te connais : tu prendrais encore des drogues.

— Oui…

— Il ne faut pas te laisser aller…

— Non.

— Alors, je t’attends en bas dans la voiture. Secoue-toi. À tout à l’heure.

M. Jeansonnet se secoua. Quelques minutes après, il jetait un dernier regard à la mansarde où il avait vécu ses dernières années de libre bohème et de solitude. Et le soir, il dînait en face de sa femme. La vie reprenait. Mme Jeansonnet avait fleuri l’appartement. La docilité de son époux la touchait, bien qu’elle n’en fît rien paraître. Seulement, sa voix prenait une inflexion si douce, qu’elle même en était surprise. Il ne fut pas question du passé. Après le dîner, Mme Jeansonnet conduisit son mari dans un cabinet de travail qu’elle avait gardé tel que le pauvre homme l’avait laissé. Il versa quelques larmes en retrouvant sa table, ses livres et le vaste fauteuil dans lequel il méditait ces œuvres qu’il n’écrivait jamais Il prit les mains de Mme Jeansonnet.

— Je te remercie, dit-il. J’ai pu mal agir envers toi. Ma grande erreur, vois-tu, a été de m’imaginer toujours meilleur que les autres. Alors, je ne me suis pas perfectionné… Mais aujourd’hui, je me rends compte et je te demande pardon. Veux-tu que nous allions à Nice, au bon soleil ? Parle, tu seras désormais obéie !

— Tu n’étais pas malade, répliqua Mme Jeansonnet. Tu as une santé excel-