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Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/223

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D’UNE COCODETTE


ne ferais pas bien de me consacrer au théâtre[1].

Je me voyais déjà devenue subitement l’une des reines du chant, ayant fait de brillants débuts à l’Opéra, gagnant des millions avec mes roulades. Mon mari, qui entra chez moi comme je m’amusais à ces beaux rêves, m’ayant demandé à quoi je pensais, je le lui dis tout naïvement. Mais, d’un seul mot, il fit tomber mon enthousiasme.

— Ton intention est bonne, me dit-il, mais elle est irréalisable. On t’applaudit dans les salons, on te sifflerait au théâtre. Je regrette de t’enlever tes illusions, mais tu n’as qu’un talent de société.

Le lendemain matin, comme j’étais encore sous la double influence des sèches paroles de ma mère et de mon mari, il m’arriva une aventure qui devait bientôt bouleverser toute ma vie.

Il était encore de bonne heure, et j’étais dans mon cabinet de toilette, occupée à me coiffer ; mon mari venait de sortir pour tâcher d’apaiser un créancier qui se montrait de méchante humeur ; ma femme de chambre vint me dire qu’une blanchisseuse de dentelles, dont elle me remit la carte, demandait à me parler. Quoique je n’eusse pas invité cette femme à venir chez moi, son nom

  1. Variante, ligne 1, après théâtre ; lire : J’avais de la voix, du talent.