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Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/289

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D’UNE COCODETTE


j’aimais ce rôle de victime. Il est vrai que je ne pouvais guère agir autrement. Mon mari n’était plus jaloux du baron. Ce qu’il y eut de pire, c’est que la Couradilles, qui ne pouvait pas retenir sa langue, sans doute pour se faire bien venir d’Alfred et l’inciter à songer à elle, lui apprit tout, lui dit que j’étais la maîtresse du baron de C***, lui révéla l’odieux et le ridicule du rôle qu’on lui faisait jouer. Mon cousin m’en parla. Ce ne fut pas pour m’accuser, mais pour me plaindre. Il me dit qu’il acceptait avec bonheur l’office de chandelier, afin d’éviter des scènes conjugales. Il ne me demanda pas de récompense pour sa généreuse conduite, et nécessairement il ne fut pas récompensé.

C’est ainsi que je fus contrainte d’agir envers le seul homme que j’aimai dans toute ma vie. Condamnée à être victime d’une débauche froide, je mourrai sans avoir connu les douceurs du véritable amour.

Mon mari, de son côté, n’était guère plus heureux que moi. Il ne s’était marié, on le sait, que dans le but de se procurer certaines satisfactions. Je ne cessais de m’y refuser.

Il avait donc trouvé en moi exactement le contraire de ce qu’il espérait.

Il avait beau me tourmenter, me supplier, inventer chaque jour quelque combinaison nouvelle pour me pervertir, je continuais à me mon-