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Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/64

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SOUVENIRS


avec une anxiété bien naturelle, si j’avais compris ce qu’elle faisait dans la position que j’ai décrite, conjointement avec M. Gobert, ou plutôt dans quelle proportion j’avais dû comprendre. Jamais, tant qu’elle vécut, elle ne me fit le moindre reproche au sujet de mon indiscrétion, jamais elle n’y fit la moindre allusion. Son attitude avait l’air de dire que « rien de particulier n’était arrivé, que je n’avais rien vu, rien deviné, » et je dois avouer que, les circonstances étant données, cette conduite n’était pas du tout malhabile[1].

Mais ce ne fut pas sans une terreur instinctive que je la vis redoubler de cajoleries pour captiver l’affection de mon père. Chaque fois qu’elle se

  1. Variante, ligne 12, après malhabile ; lire :
     Mais, aujourd’hui que j’y réfléchis à loisir, quel épouvantable châtiment pour une mère ! On est jeune, on n’a pas d’enfants, ou on a des enfants tout petits. Les exemples du monde, ses sollicitations aidant, on se décide à prendre un amant. On se dit : « Nul ne le saura, et, quand on le saurait, la colère de mon mari seule pourrait être à craindre. » C’est une erreur. Les enfants grandissent. Celui d’entre eux qui n’était qu’une gamine inoffensive, un jour est devenue une innocente jeune fille. L’habitude une fois prise, on ne peut plus se passer de liaisons illicites. Qui a eu un amant en aura dix. Le nombre ne fait rien à la nature de la chose. Un jour donc, la mère de famille coupable se vend, toute vive, sous les yeux d’Argus d’une fille jeune, avide d’apprendre, curieuse, malveillante peut-être, la chose est