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Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/103

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pèrent pas au contemplatif. Les cuivres attaquaient le prélude d’une valse. Flup fonça délibérément sur la brunette et l’accosta non sans rougir et bredouiller. Elle affecta de consulter son frère, puis, acquiesçante, elle posa la main sur le biceps droit du débardeur. Ils balancèrent un moment sur place, accordant leurs pas, et partirent, entraînés par une même impulsion, fendant la cohue désordonnée de leur course gracieuse et rhytmique. Après cette valse, il obtint une polka, puis ils revalsèrent ; rien ne dépassait la valse. Les autres fois, il pirouettait jusqu’au matin, il semblait deviner aujourd’hui que les rapports entre un gars pubère et une fille nubile ne tirent pas leur charme exclusivement de cet exercice. La chaleur étant suffocante dans la salle, le couple descendit au jardin. Il faisait une tiède nuit de mai. Sous la charmille des bancs appelaient la confidence ; ils en profitèrent. Elle s’appelait Rosa Valk, était orpheline, demeurait avec son frère Tjefke dans une mansarde de l’impasse du Cygne. Le gamin exerçait le métier de cigarier ; Rosa triait le café chez Grevel frères. Flup lui parla de l’ouvrage sur les quais. Il racontait ses prouesses d’athlète, le portage qu’il pariait de déplacer, ses batailles avec les louffers, ou rôdeurs de quais, et il disait son sobriquet glorieux comme un titre de noblesse : Flup-les-Deux-Cents-Kilos. Elle était libre, lui également : comme cela se trouvait. Et cette constatation faite, ils se turent comme pour mieux en savourer la douceur ; et leurs mains s’oublièrent l’une dans l’autre. Ils se remirent à balbutier des choses banales, mais sans en rien penser ; l’accent seul importait et ce