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Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/68

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suite dans les nuages d’encens de vos processions, m’asseoir dolent à vos âtres enfumés ou m’isoler dans les sablons navrants à l’heure où râlent les rainettes et où le berger incendiaire et damné paît ses ouailles de feu à travers les bruyères.

Ma première rencontre avec ce terroir fut décisive comme le coup de foudre ; et mon initiation aux rites de ce culte prit à peine un jour :

Au commencement de juin 1865, je venais d’atteindre ma onzième année et de faire ma première communion chez les Frères de la Miséricorde à M… Un matin, on m’appelle au parloir ; j’y trouve le père supérieur avec mon oncle et celui-ci m’apprend qu’il m’emmène à Anvers voir mon père. À l’idée de ce campo inattendu, devant la perspective d’embrasser mon bénin auteur, veuf depuis cinq ans, pour qui j’étais tout à présent, je ne remarquai pas l’air sérieux de mon oncle ou les regards apitoyés des religieux.

Nous partîmes. À mon gré, le train ne brûlait pas assez rapidement la campagne.

On arrive pourtant. Sonner à la porte de la petite maison bourgeoise ; sauter au cou du Yana, la bonne ; subir les assauts du brave Lion, le grand épagneul roux ; grimper avec lui quatre à quatre ; bondir dans la chambre à coucher bien connue ; — deux cris : « Père ! — Georges ! » ; me sentir soulevé de terre et pressé contre sa poitrine ; être mangé de baisers, ma bouche cherchant ses lèvres dans la grande barbe fauve : ces actions se pressèrent, mais aussi fugaces qu’elles furent, elles marquèrent pour la vie dans ma mémoire.