Aller au contenu

Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait par des « hein ? » fiévreux. Il était animé, expansif, je l’avais vu rarement si en train qu’aujourd’hui. Depuis la mort de ma mère, son beau rire sonore et contagieux ne retentissait plus.

En bavardant, nous étions arrivés au fond du jardin sur un monticule d’où l’on apercevait un coin du village : le clocher émergeant d’un rideau de tilleuls, les ailes en croix d’un moulin en repos perché sur une butte gazonneuse, puis quelques fermes éparpillées dans les cultures et les prés jusqu’à la rencontre de la plaine avec l’horizon.

— Regarde, George, disait-il, voici désormais notre monde… Il fera bon vivre ici pour tous deux ; car si j’ai besoin de réconfort, tu ne dois pas moins profiter… Plus de lisières, mon cher petit, nous sommes assez riches pour vivre à la campagne comme des philosophes… Et quand je n’y serai plus… car il faut tout prévoir…

Il s’arrêta. Je me souviens qu’un orgue poussif moulait là-bas une polka, derrière le rideau de tilleuls où se blottissait le village.

Mon père était devenu subitement sérieux et la solennité de ses dernières paroles me remua péniblement. Puis, cette danse mélancolique et lointaine me crispait. Quand il eut cessé de parler, il toussa longuement.

Nous étions assis sur le talus, le dos tourné à la maison, et les regards embrassant la plaine immense dont les lancinants accords de l’orgue ne rendaient que le recueillement plus saisissant.

— Père, murmurai-je comme on prie, que veux-tu dire ?