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Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/83

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et maussade ? Cette intrusion dont je ne devinais pas l’horrible mais absolue opportunité m’exaspérait.

Quel déchirement que mon départ ! Et cela pour huit jours de séparation ! En vain l’oncle nous signalait tout le ridicule de nos larmes. Je me cramponnais au bien-aimé et lui n’avait pas la force de me repousser. L’officier, impatient, dut m’arracher à cette étreinte.

— Le train n’attend pas ! grommelait-il. A-t-on jamais vu pareils cœurs de poule !

Je me révoltais.

— Non, pas avec vous, disais-je à mon antipathique parent… Avec lui !

— Djodgy ! Djodgy ! s’efforça de dire le père d’un ton de reproche… Excusez-le, Henri… À revoir ! Dans huit jours !… Sois toujours sage…

Cette fois, Yana n’essayait plus de cacher ses larmes. Lion allait tout attristé de l’un à l’autre et ses regards humains semblaient dire : « Reste près de lui ».

Mais rien ne pouvait briser l’entêtement de mon oncle. Il m’emporta dans la voiture, la même qui nous avait conduit la veille à S’Gravenwezel.

Nous échangeâmes des signaux d’adieux aussi longtemps que la voiture roula dans notre rue.

Huit jours et je le reverrais !

Huit jours et il était mort !

Mais je n’oubliai rien…

Et, depuis lors, j’aime, j’adore la campagne flamande, comme l’héritage des suprêmes dilections du seul être qui ne me fit jamais de mal. Ces vastes horizons, à l’azur pâle, souvent brouillé, s’illuminent comme au sourire mouillé que je surpris la dernière fois sur son visage.