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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/114

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Raymonne

Souvent, c’est que je n’ai d’assez tendre parole
Pour dire mon bonheur… Est-ce que je suis folle ?
Mais mon amour en mots ne saurait s’exhaler… »

Comme si cet aveu brûlant l’eût alarmée,
Elle cacha son front, la chaste bien-aimée,
Dans le sein de l’amant, enivré de bonheur.
Puis en des pleurs soudain la pudeur féminine
Révéla son échec. Confusion divine
Sans laquelle l’amour aurait moins de valeur !

Huguet sent contre lui frémir cette poitrine,
Ce visage adoré qui sur le sien s’incline :
« Oh ! tu m’aimes ! dit-il. Pourquoi le regretter,
Cet aveu qui m’emplit d’un transport ineffable
Et qui me donne, à moi, le serf, le misérable,
Le trésor qu’un baron ne peut que convoiter ?

« Tu m’aimes ! À présent qu’importent la corvée
À l’aide de sueur et de sang achevée,
Les dîmes et les coups, le servage écrasant,
Si je t’ai, blanche fleur que nul mal n’a souillée ;
Si ta paupière d’ange, en ce moment mouillée,
L’est pour moi ! Sois béni, Dieu, maître bienfaisant ! »