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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/101

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être y trouverait-on intérieurement le Rouach-ha-Kodesch[1] et le souffle de la pensée divine, mais les hommes s’en moqueraient et diraient : « Pauvre juif ! » et ceux qui souriraient le plus seraient les hommes de mon peuple !

Mordecai laissa tomber ses mains inertes et sa tête s’affaissa mélancoliquement sur sa poitrine ; il avait momentanément perdu tout espoir.

— Je suis touché, dit Deronda d’une voix claire mais grave, qui résonnait comme une corde sympathique, — je suis fortement touché de te que vous dites. Mais pardonnez-moi si je parle hâtivement, il n’est pas besoin d’enterrer ce que vous avez écrit. Nos moyens de publication sont à votre portée. Si vous voulez vous fier à moi, je puis vous assurer tout ce qui vous sera nécessaire à cette fin.

— Ce n’est pas assez, reprit vivement Mordecai, qui venait de recouvrer la mémoire et la confiance ; ce n’est pas tout ce que je veux de vous. Il ne faut pas que vous soyez seulement une main pour moi, mais une âme ; il faut croire en ma croyance ; il faut être ému par mes raisonnements ; il faut espérer ce que j’espère ; il faut voir la vision que je vous désignerai, il faut apercevoir la gloire où je la vois ! À mesure qu’il parlait, Mordecai s’était rapproché de Deronda et lui avait saisi le bras. Son visage, qui n’était pas à plus d’un pied de celui de son confident, s’éclairait d’une flamme pâle respirant la confiance, et il continua :

— Vous serez ma vie : elle sera replantée et croîtra. Vous recueillerez l’héritage qui s’est amassé depuis des siècles. Les générations se pressent en foule sur mon étroite vie comme sur un pont ; les choses qui ont été et celles qui doivent être y sont rassemblées ; le pont va se briser ! Mais je vous ai trouvé ; vous êtes venu à temps. Vous prendrez l’héritage que le mauvais fils refuse, vous

  1. L’esprit saint. (Note du traducteur.)