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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/103

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il insistait comme sur une part de son espoir, avait toujours été pour Daniel la menaçante possibilité d’une révélation déchirante sur le compte de sa mère. Le moment était solennel pour lui. Après avoir hésité quelques instants, faisant un violent effort sur lui-même et décidé à avouer brièvement la vérité, il dit :

— Je n’ai jamais connu ma mère ; je ne sais rien d’elle. Je n’ai jamais donné le nom de père à un homme, mais je suis certain que mon père est Anglais.

La voix grave du jeune homme tremblait pendant qu’il faisait cet aveu, et en même temps il éprouvait un étonnement immense provoqué par les étranges circonstances qui l’avaient amené à le faire. C’est à peine si Mordecai avait usé de son pouvoir pour décider l’ami, qu’il avait mystérieusement choisi, à se confier à lui.

— On le saura ! s’écria-t-il triomphalement ; tout s’éclaircira ! Le monde croît sans cesse et sa forme est liée à la croissance de l’âme. Trouble d’abord, puis de plus en plus claire, la conscience discerne les mouvements éloignés. De même que les pensées se meuvent obscurément en nous et nous ébranlent avant que nous les distinguions entièrement, — de même font les événements, — de même les êtres : ils sont liés à nous dans la croissance du monde. Vous avez fait lever en moi quelque chose qui ressemble à une pensée incomplètement épelée ; mon âme en est frappée avant que tous les mots soient là. Le reste viendra ; oui, soyez-en certain, il viendra !

— Nous ne devons pas perdre de vue que l’événement extérieur n’a pas toujours été la réalisation de la foi la plus ferme, dit Deronda, non sans hésitation, afin de ne pas donner à son interlocuteur un coup trop sévère, ni à sa confiance une sanction qui aurait pu tenir en réserve un coup bien plus dur encore.

Le visage de Mordecai, qui avait semblé comme illuminé