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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/12

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une mortelle ! Quelle est votre opinion ? demanda sir Hugo à Gwendolen.

— Je ne sais si herr Klesmer s’imagine immortel ; mais je crois pouvoir dire que sa femme brûlera devant lui autant d’encens qu’il voudra, répondit Gwendolen qui avait repris son aplomb.

— N’approuvez-vous donc pas qu’une femme brûle de l’encens devant son mari ? demanda sir Hugo d’un air badin.

— Parfaitement, répondit Gwendolen, si seulement il peut faire croire les autres en lui.

Elle s’arrêta une seconde et reprit plus gaiement :

— Quand M. Klesmer admire son génie, il paraît moins absurde que lorsque sa femme dit : Amen.

— Je vois que Klesmer n’est pas de vos amis, dit sir Hugo.

— Je pense très avantageusement de lui, je vous assure. Son génie est au-dessus de mon jugement, et je sais qu’il est extrêmement généreux.

Elle avait prononcé cette phrase avec le sérieux soudain que l’on adopte quand on veut corriger une saillie caustique ou indiscrète ; cependant, au fond de l’âme elle conservait contre Klesmer une secrète amertume quelle n’aurait su comment justifier. Deronda se demanda ce qu’il penserait d’elle s’il ne l’avait pas déjà entendue ; mais pourquoi ne voulait-elle pas le reconnaître avec plus de cordialité ?

Sir Hugo, afin de changer le sujet de l’entretien, dit à Gwendolen :

— N’est-ce pas que cette salle est belle ? C’était une partie du réfectoire de l’abbaye. Il y avait une séparation là où vous voyez ces deux piliers et les trois arceaux ; plus tard, on les a murés. À l’origine, elle était du double plus grande. Les bénédictins s’asseyaient où nous sommes. Supposez que tout à coup les lumières pâlissent et que les vieux moines se dressent derrière nous.