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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/121

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un nouveau développement de vie, dans lesquels la semence sera plus parfaite et plus chargée en éléments féconds et en formes divines. La vie d’un peuple croît en joie et en douleur, en pensée et en action ; elle absorbe la pensée d’autres nations dans des formes qui lui sont propres et rend cette pensée au monde comme une nouvelle richesse ; c’est une puissance et un organe dans le grand corps des nations. Mais il peut arriver un échec, un arrêt ; les souvenirs peuvent être étouffés et l’amour défaillir ; ou bien les souvenirs peuvent se rétrécir jusqu’à devenir des débris desséchés ; l’âme d’un peuple, — encore bien que les individus sachent qu’ils en ont formé un, — peut sembler mourante par le manque d’action commune. Mais qui peut dire : « Les sources de leur vie sont taries ; ils cesseront pour toujours d’être une nation ? » Qui oserait le dire ? Ce n’est pas celui qui sent la vie de son peuple s’agiter dans son sein. Pourra-t-il dire : « Les événements suivent leur cours, je n’y réussirai pas ? » Mais toute son âme est résistance ; c’est comme une semence de feu qui peut enflammer les multitudes et tracer une nouvelle route aux événements.

— Je ne nie pas le patriotisme, dit Gidéon ; mais nous savons tous que tu as une pensée particulière, Mordecai. Vous connaissez sans doute la manière de penser de Mordecai ? ajouta-t-il en se tournant vers Deronda qui était assis à côté de lui ; puis, sans attendre sa réponse, il continua :

— Je suis un juif raisonnable, moi. Je suis avec mon peuple dans une sorte de relation de famille, et j’opine pour que l’on dirige notre culte dans une voie raisonnable. Je n’approuverais pas que notre peuple se fît baptiser, parce que je ne crois pas en la conversion d’un juif au christianisme, et aujourd’hui que nous avons l’égalité politique, il n’y a point d’excuse pour un prétexte de cette sorte. Mais je suis d’avis que l’on nous débarrasse de toutes nos superstitions et de tous nos exclusivismes. Nous n’avons