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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/239

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à peine croire qu’il appartienne au même monde que les gens au milieu desquels j’ai vécu. Je vous ai dit, je crois, qu’on se serait cru dans une maison de fous. Mais, quand je suis avec Ezra, il me fait sentir que sa vie a été un grand bien, quoiqu’il ait beaucoup souffert. Ce n’est pas comme moi, qui voulais mourir parce que j’avais eu un peu de chagrin. Son âme est si grande et si pleine, qu’il n’aurait jamais appelé la mort, comme je l’ai fait. Quand je suis auprès de lui, j’éprouve la même chose que j’ai ressentie hier, lorsque je revenais fatiguée à la maison, et que je passais par le Parc, après qu’une douce pluie était tombée et que le soleil brillait sur l’herbe et sur les fleurs. Tout dans le ciel et sur la terre paraissait si pur et si beau, que la fatigue et l’inquiétude ne me semblèrent qu’une faible partie de ce qui est et que je devins plus patiente et plus riche d’espérances.

Une note mélancolique comme le roucoulement d’une tourterelle appela sur elle l’attention de la petite mère. Mirah, qui avait ôté son chapeau et arrangé les boucles de ses cheveux, était venue s’asseoir avec un air de lassitude en face de sa vieille amie, dans son attitude habituelle, les mains et les pieds croisés. À distance, on l’aurait prise pour une statue de la sérénité ; mais madame Meyrick déchiffra sur son visage quelque chose comme de la souffrance réprimée, répondant à son allusion que, pour être patiente et pleine d’espoir, il fallait une influence extraordinaire.

— Auriez-vous un nouveau sujet d’inquiétude, ma chère ? lui demanda madame Meyrick, en mettant son ouvrage de côté pour mieux l’examiner.

Mirah hésitait à répondre :

— Je suis trop prompte à m’inquiéter, dit-elle ; ce n’est pas bien de mettre une idée pénible dans l’esprit d’autrui, à moins que l’on ne soit sûr que cela pourra empêcher