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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/282

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Elle lâcha la main de Deronda, se leva en étendant les bras, comme pour repousser une image effrayante et poussa un gémissement.

— J’ai été une femme cruelle !.. Que puis-je faire, sinon pleurer et implorer du secours ?.. J’enfonce… Meurs !.. meurs !.. tu es abandonnée ; enfonce… enfonce-toi dans les ténèbres !.. Abandonnée !.. point de pitié !.. je serai abandonnée.

Elle retomba dans son fauteuil et éclata en sanglots. Deronda était bouleversé et ne se retrouvait plus. Il s’était levé pour faire machinalement quelques pas. Quand il se rapprocha d’elle, il vit son visage pâle qui se penchait vers lui, avec ses yeux dilatés et ses lèvres entr’ouvertes. Était-elle abandonnée par lui, maintenant, déjà ? Mais les yeux de Deronda rencontrèrent les siens pour la première fois depuis qu’elle avait dit : « Vous savez que je suis coupable ! » et ce regard, dans sa tristesse et dans sa compassion, lui répondit : « Je le sais, mais je vous abandonnerai d’autant moins. »

Cette fois encore, Gwendolen eut le cœur percé comme une fois déjà à l’Abbaye, en voyant son chagrin. Elle lui dit d’un ton de regret affectueux :

— Je vous rends malheureux.

— Il n’est pas question pour moi d’être heureux ou malheureux. Ce que je désire avec le plus d’ardeur, c’est de pouvoir vous aider. Dites-moi tout ce que vous croirez qui pourra vous soulager. Mais vous êtes sans doute fatiguée ?… Voulez-vous que je me retire ?… Vous me ferez appeler quand vous voudrez que je revienne.

— Non, non ! s’écria-t-elle, je veux que vous sachiez ce qui m’est arrivé dans ce bateau… J’étais furieuse d’avoir été contrainte d’y entrer. Une rage muette me dominait et je ne pouvais faire autre chose que de m’asseoir là… comme une esclave aux galères… Et nous sommes par-