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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/284

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mains… Non, le voilà reparu… la tête au-dessus de l’eau… Il crie encore… et j’étends le bras… et mon cœur dit : « Meurs ! » Et il enfonce… et je sens : « C’est fini… je suis méchante… je suis perdue ! » Et je tenais la corde… je ne sais plus à quoi je pensai… je m’élançai dans l’eau… je voulais le sauver. Je sautai loin de mon crime, et il était là… près de moi… Je tombai à côté de lui… il avait la figure morte ! Mort !.. il est mort !.. Voilà ce qui est arrivé, voilà ce que j’ai fait !.. Vous savez tout ; on ne peut plus rien y changer…

Elle retomba épuisée par l’agitation de son souvenir et de ses paroles. Deronda se sentait accablé de tristesse. Le mot « coupable » renfermait une possibilité d’interprétations pires que le fait, et la confession de Gwendolen, par la raison même que sa conscience la faisait appuyer sur le pouvoir décisif de ces mauvaises pensées, le convainquit de la lutte de son bon vouloir pour les contre-balancer. Il était certain que sa pensée meurtrière n’avait eu aucun effet actif et que la mort de Grandcourt était inévitable. Il tint pour probable que le remords de Gwendolen aggravait pour elle sa faute intérieure et qu’elle donnait le caractère d’une action décisive à ce qui n’avait été qu’un désir instantané et inappréciable. Son remords, en outre, était le gage précieux d’une nature guérissable et perfectible. Il la séparait de ces criminels dont le seul regret est d’avoir manqué la réalisation de leur méchant désir. Il demeura cependant silencieux et immobile. Quand il tourna les yeux vers elle, il la vit affaissée, brisée, les yeux fermés, semblable à une biche égarée, battue par l’orage, épuisée, qui n’a plus la force de se relever et de poursuivre sa course. Il se tint debout devant elle. Quand elle rouvrit les yeux, elle tressaillit légèrement et eut peur.

— Vous avez besoin de repos, lui dit-il. Essayez de dormir. Je reviendrai ce soir, demain, quand vous aurez dormi. Ne parlons plus de rien maintenant.