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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/287

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saurait être réparée de cette manière et l’homme ne peut proportionner la rétribution.

— Mais, reprit-elle craintivement, si je n’avais pas eu cette volonté meurtrière… si j’avais jeté la corde quand il la demandait… peut-être l’aurais-je sauvé… peut-être ne serait-il pas mort ?

— Non ! je ne le pense pas, repartit gravement Deronda. Il savait nager, il faut qu’il ait été engourdi par une crampe. Vos efforts les plus prompts et les plus énergiques n’auraient pu le sauver. Cette volonté meurtrière instantanée n’a changé en rien le cours des événements. Son effet est resté dans votre cœur.

— Je ne volerai pas les autres, car il y en a d’autres ; ils auront tout, tout ce qu’ils devaient avoir. Je le savais déjà quelque temps avant de quitter Londres. Vous ne supposez pas que j’aie de mauvais desseins à cet égard ? Elle était hésitante.

— Je n’y pensais pas, répondit Deronda ; trop d’autres choses me préoccupaient.

— Peut-être ne connaissez-vous pas le commencement de tout cela, reprit-elle en surmontant sa répugnance. Il y avait une autre femme qu’il aurait dû épouser. Je le savais et je lui avais dit que je ne l’empêcherais pas. Je partis… C’est alors que vous me vîtes pour la première fois. Mais la pauvreté vint nous accabler tout d’un coup et j’étais très malheureuse. Je fus tentée. « Je ferai ce que je voudrai, me disais-je, et je remettrai les choses dans le droit chemin. » Je voulais me persuader. Tout fut différent ; tout fut horrible. Alors vinrent les pensées méchantes et la haine. Je vous ai dit que j’avais peur de moi-même ; je fis ce que vous me dîtes ; j’essayai de prendre ma crainte pour sauvegarde. Je pensais à ce qui adviendrait si je… Je sentais ce qui arriverait !.. Je prévoyais que je redouterais le matin, que je craindrais la nuit, et que, dans l’obscurité,