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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/290

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— Vous ne souhaitez pas de ne m’avoir jamais vue, n’est-ce pas ? s’écria-t-elle les larmes aux yeux.

— Je me mépriserais si je faisais un semblable souhait ! Comment saurais-je ce que j’aurais désiré ? Nous devons trouver nos devoirs dans ce qui nous arrive, et non dans ce que nous imaginons qui aurait pu être. Si je pouvais faire un souhait, ce ne serait pas celui de ne vous avoir jamais vue, mais d’avoir pu empêcher ce qui vient de vous arriver.

— Vous avez empêché que ce ne soit pire, dit Gwendolen d’une voix entrecoupée par les larmes. Sans vous, j’aurais été bien plus mauvaise. Si vous n’aviez pas été si bon, j’aurais été plus méchante que je ne le suis.

Deronda, dont l’esprit était harassé par le retour perpétuel de cette scène, lui dit :

— Il est temps que je me retire. Rappelez-vous ce que nous avons dit de la tâche que vous avez à remplir. Soyez calme et remise avant l’arrivée de vos parents.

Il se leva et elle lui tendit la main d’un air de soumission ; mais, dès qu’il fut sorti, elle tomba à genoux et pleura à chaudes larmes. La distance qui les séparait l’un de l’autre était trop grande. Elle était une âme en peine ; elle voyait une existence possible que ses fautes chassaient loin d’elle. Elle eut une crise de nerfs. Sa femme de chambre la trouva étendue sur le parquet, anéantie, sans mouvement. Cette douleur semblait naturelle chez une pauvre femme dont le mari s’était noyé sous ses yeux.