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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/307

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n’avait été empêchée, car vous avez tous ses traits, mais pas exactement cependant. Sa volonté de fer était peinte sur son visage ; il dominait tout ce qui l’entourait. Très jeune encore, une ligne profonde s’était déjà creusée sur son front. Je n’en vois pas sur le vôtre. Daniel Charisi avait coutume de dire : « Plutôt une volonté fâcheuse qu’une volonté vacillante ! plutôt un ennemi déclaré qu’un ami incertain ! plutôt une fausse croyance que point de croyance ! » C’était l’indifférence qui lui inspirait le plus de mépris. Il tenait des raisonnements plus développés que je ne puis vous les communiquer.

— Cependant, son savoir n’était pas étroit, n’est-ce pas ? dit Daniel.

— Étroit, non, répondit Kalonymos avec un sourire indulgent. Dès l’enfance, il but la science comme la plante pompe l’eau. Il s’adonna de bonne heure à la médecine, ainsi qu’aux théories sur la vie et sur la mort. Il voyagea dans bien des pays et dépensa une partie de sa fortune pour voir et apprendre. Nous étudiâmes ensemble, mais il me laissa loin derrière lui. Quoique nous fussions amis de cœur, nous différions autant intérieurement qu’extérieurement ; mais nous restâmes des juifs fidèles, convaincus et reconnaissants de n’être pas des gentils. Depuis ma maturité, j’ai été ce que je suis encore, aimant à voyager, aimant les affaires, aimant à tout voir sans me préoccuper de la fatigue. Charisi pensait continuellement à l’avenir de notre peuple ; moi pas. Puisque nous avons la liberté, cela me suffit. Jeune homme, quand je suis en Orient, j’aime à regarder les plus grosses étoiles. La vue de leurs constellations me satisfait. Je les connais quand elles se lèvent sans ambitionner d’en savoir davantage. La vue seule ne contentait pas Charisi ; il aurait voulu savoir ce qu’il y a eu avant et ce qu’il y aura après. Cependant, nous nous aimions, et, selon son expression, nous avions attaché notre amour au devoir ; nous nous