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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/313

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— Je suis un imbécile !… une brute ! s’écria-t-il au bout d’un instant. Je retire mes paroles et je vais aller me pendre comme Judas… s’il est permis de le nommer !..

Même dans ses moments de chagrin, Hans ne pouvait éviter de donner à ses expressions une teinte comique. Mais la colère de Mirah n’en fut pas apaisée. Comment cela aurait-il été possible ? Elle avait laissé échapper des paroles indignées, de la même façon que ceux qui, dans d’atroces souffrances, se mordent et incrustent leurs dents dans leur propre chair, pour rendre leur agonie tolérable. Elle se tut et alla s’asseoir au piano, en disposant le morceau posé sur le pupitre comme si elle allait commencer à jouer.

Le visage de madame Meyrick répercutait le désappointement de Hans.

— Mirah a bien raison de te gronder, Hans, dit Mab. Tu prends toujours le nom de M. Deronda en vain, et c’est horrible de plaisanter de cette manière sur son mariage possible avec madame Grandcourt. Il faut que ton ingratitude soit bien noire ! conclut-elle avec mépris.

— C’est parfaitement vrai, ma chère, dit Hans en se levant et en allant du côté de la fenêtre.

— Continuons, Mab, dit Mirah d’un ton plus bref que d’habitude : vous n’avez pas eu toute votre heure de leçon. Voulez-vous recommencer ceci, ou dois-je le chanter ?

— Oh ! je vous en prie, chantez-le, dit Mab, empressée de faire oublier l’incident qui venait de se produire.

Mirah chanta aussitôt Lascia ch’io pianga, en donnant à ces sanglots et à ses plaintes une énergie et une force nouvelles. Hans arrêta sa promenade dans la chambre et s’appuya contre la cheminée en évitant de regarder du côté de sa mère. Quand Mirah eut fini la dernière strophe et frappé l’accord final, elle se leva, et dit :

— Maintenant, il faut que je rentre : Ezra m’attend.