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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/331

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Les deux hommes se serrèrent les mains dans une étreinte qui fit étinceler les yeux de Mordecai, et qui passa sur Mirah comme un choc électrique. Deronda reprit :

— Nous sommes du même peuple, nos âmes ont la même vocation ; nous ne serons séparés ni dans la vie ni dans la mort.

Quant à Mordecai, sa réponse, qui ne résonna pas plus haut qu’un murmure, fut prononcée en hébreu. C’était les paroles liturgiques qui expriment le lien religieux : « Notre Dieu et Dieu de nos pères ! »

Mirah tomba à genoux à côté de son frère, dont elle admira le visage rayonnant, lequel, il n’y avait qu’un instant, ressemblait à celui d’un cadavre ; elle ne pensa à l’effet produit sur sa propre vie que par celui produit sur son frère.

— Non seulement je suis juif, continua Deronda, jouissant d’un de ces rares moments où nos désirs et nos actions ne font qu’un, et où nous voyons la réalisation de notre idéal, mais encore je descends d’une lignée qui a résolument maintenu la fraternité de notre race ; une lignée de juifs espagnols qui a donné beaucoup de savants et des hommes d’élite. Je possède ce qui nous donnera une sorte de communion avec eux. Mon grand-père, Daniel Charisi, a conservé des manuscrits, des annales de famille qui remontent très haut, dans l’espoir qu’ils arriveraient dans les mains de son petit-fils. Cet espoir est réalisé, en dépit des tentatives que l’on a faites pour le traverser, en me cachant mon extraction. Je possède le coffre qui les contient, ainsi que ses papiers personnels. Il est en bas. Je veux vous le laisser, Mordecai, afin que vous puissiez m’aider à étudier les manuscrits. Il en est que je puis lire facilement, ceux en espagnol et en italien ; les autres sont en hébreu et, je crois, en arabe ; mais il me semble qu’il y a aussi des