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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/371

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— Je ne suis gêné que dans ma respiration. Vous qui pouvez habiter de vastes palais entourés de verdure, vous trouvez ceci une étroite prison. Je le comprends, mais je ne puis vous dire : « Allez ! »

— La campagne serait comme un bannissement pour moi pendant que vous êtes ici, répondit Deronda en se levant et en s’éventant avec son mouchoir. Je considère cette chambre comme la plus heureuse du monde, et je puis m’imaginer que je suis en Orient, puisque je dois me préparer à y aller un jour. Seulement, je n’y porterai ni cravate, ni bague aussi lourde que celle-ci, ajouta-t-il en s’arrêtant pour ôter ces deux objets qu’il déposa sur une petite table d’acajou, derrière Ezra, dont la table de travail était beaucoup plus grande et chargée de livres et de papiers.

— Je porte toujours cette mémorable bague depuis que je suis revenu, reprit Daniel en se rasseyant ; mais je suis tellement sybarite, que je l’ôte comme j’ôterais un fardeau, quand j’ai quelque chose à faire. Je comprends pourquoi les Romains avaient des anneaux d’été, si toutefois ils en eurent. Ah ! maintenant cela va mieux.

Ils furent bientôt absorbés dans leur travail. Deronda lisait un manuscrit en hébreu de rabbin qu’Ezra corrigeait et commentait ; ils ne firent aucune attention à Lapidoth lorsqu’il rentra et qu’il alla s’asseoir dans le fond de la pièce. Ses yeux errants et toujours actifs s’arrêtèrent sur la bague qui étincelait sur l’acajou foncé. Il en était à chercher comment il s’y prendrait pour demander une somme d’argent à Deronda, lorsqu’au milieu de ses réflexions, cette bague, qu’il avait déjà vue au doigt de son propriétaire et qui excitait sa convoitise, lui apparut tout à coup à portée de sa main. Certes sa valeur était inférieure à la somme qu’il aurait voulu recevoir ; mais elle était là, miroitante et scintillante devant lui, l’attirant irrésistiblement.