Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/45

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dire que les belles natures ne sont pas plus adorables ; je veux dire que celles qui seraient comparativement peu intéressantes, peuvent devenir plus dignes de sympathie quand elles font quelque chose qui éveille en elles le remords. La vie s’élargit de différentes manières. Certaines personnes ont besoin qu’une secousse violente vienne ouvrir leurs yeux sur les conséquences de leurs fautes, et, quand elles en souffrent, leur sort nous touche plus que celui des heureux.

Gwendolcn s’était laissée tomber sur le tabouret du piano ; elle le regardait ; ses grands yeux exprimaient une peine intense ; c’était le regard d’une biche blessée implorant du secours.

— As-tu persuadé madame Grandcourt, Dan ? Consent-elle à nous jouer quelque chose ? dit sir Hugo en arrivant auprès d’eux et en mettant la main sur l’épaule de Deronda, qu’il pressa légèrement, comme pour l’avertir de prendre garde.

— Je ne puis me persuader moi-même, répondit-elle en se levant.

D’autres personnes avaient suivi sir Hugo, et mirent fin à toute occasion de confidences pour ce jour-là. Mais le lendemain, veille du nouvel an, un grand bal, auquel étaient invités les gentilshommes du voisinage et les principaux tenanciers du baronnet, devait avoir lieu dans la galerie des portraits, et ce divertissement, où le nombre des danseurs est grand, et où le mouvement est général, peut créer des moments de solitude. En faisant sa toilette, Gwendolen eut envie, en souvenir de Leubronn, de porter pour seul bijou et pour unique ornement le vieux collier de turquoises ; mais elle n’osa pas, dans la crainte d’offenser son mari, en se montrant aussi mesquinement parée en une occasion où il voulait qu’elle apparût dans toute sa splendeur. Décidée cependant à porter, d’une façon quelconque, le mémorable collier, elle le tourna trois fois